[Aventure] La Valeur des Héros

Cynhaffal grimpa les marches du château de Darnalum, son riche manteau de tissu bleu ondulant au rythme de ses pas de course. Il ne portait rien d’autre dessous que son habituelle tunique de soie blanche ainsi qu’un pantalon à carreaux rouges. Divers bijoux aux bras et au cou témoignaient de l’ascendance noble et prestigieuse des Sids.

Il passa devant les domestiques, petits nobles et autres convives. Des Fées, Sids, Gnomes et des Pixies en général. Tous affichaient la même tête compatissante au passage du jeune homme. Ce dernier avait été mandé par son père, le Seigneur Ederfil, un célèbre guerrier Sid en fin de vie. La nature de cette demande ne laissait presque aucun doute au jeune Cynhaffal, son père n’en n’avait plus pour longtemps.
Il l’avait fait mander alors que ce dernier écumait les rues du quartier des plaisirs, un endroit qu’il fréquentait plus souvent que sa propre demeure. Le tempérament hédoniste de Cynhaffal n’était pas là pour plaire à la caste noble, avec leurs codes, manières et modèles d’étiquettes qui lui faisaient plus mal à la tête que l’arranger, mais seul son père semblait lui pardonner cette conduite.

Le jeune Sid avait fini sa formation qui marquait la fin de l’Âge Jeune, il allait bientôt pouvoir arpenter la Mosaïk, aux côtés d’Akeena, ou “Rose Tignasse“ comme il aimait l’appeler. Ils étaient amis depuis qu’ils s’étaient vus pour la première fois, c'est-à-dire durant les premières non-années de leur vie.
La jeune Fée était très précoce en ce qui concernait l’utilisation des Ogams, et en avait profité pour personnaliser ses cheveux ainsi que le Passe qui lui avait été offert à la fin de son apprentissage. La petite chenille verte et duveteuse, s’était désormais retrouvée avec un pelage noir et rose. Elle en avait même profité pour donner la couleur rouge au bouton de chemise du jeune homme, cette espèce de gros disque de plastique, pourvu de quatre trous, que les Géants utilisaient avec leurs vêtements pour les maintenir fermés. Lui s’en servait de boucle de ceinture, une façon de joindre l’utile a l’agréable.

Enfin il approchait de la grande porte de bois massif délimitant la chambre de son père. Deux gardes Trolls étaient de faction, à l’approche du jeune homme, ces derniers s’écartèrent des deux côtés en esquissant un salut militaire un peut brouillon. Sans prendre la peine d’attendre le majordome, il se saisit des deux poignées et poussa le tout.
La chambre était richement décorée de tapisseries aux gravures dorées, de tableaux représentant les héros de l’histoire (Cynhaffal avait souvent passé plusieurs heures à rêvasser devant le tableau de Lug, le héros Sid qui triompha de Balor le Fomore lors de la Grande Guerre, son épée scintillante levée au ciel), ainsi que de tentures et de meubles richement décorés. Au centre du mur opposé à la porte, se trouvait un grand lit blanc dans lequel un homme âgé était allongé. Cet homme avait un lien de parenté évident avec Cynhaffal, ils avaient tout deux les mêmes yeux émeraudes et le même air malicieux.
Une fois entré, le jeune homme s’inclina respectueusement.

- Père, commençat-il.
- Approche, mon fils !

Sans en demander plus, Cynhaffal s’exécuta et s’avança au chevet de son père.

- Vous m’avez fait mander ?
- Oui ! Le temps approche…
- Vous allez…
- Non ! Il ne s’agit pas de moi, mais de toi !
- Moi ?
- Oui, mon fils ! Tu as terminé ton apprentissage, bientôt tu arpenteras la Mosaïk et ne reviendra probablement jamais ici. C’est pourquoi je désire t’offrir un bien qui te revient de droit.
- Quel genre de bien ?
- Ouvre la mallette sur la table.

Il y avait en effet, une mallette en bois sculpté posée sur la table principale de la chambre. Elle ne portait aucune inscription particulière et était le seul objet de la pièce qui ne soit pas parcouru d’arabesques d’or. Cynhaffal s’approcha et tendis les mains pour l’ouvrir.
L’espace d’un instant, il crût être encore sous l’effet de drogues qu’il avait l’habitude de consommer lors des soirées, il avait devant les yeux on objet qu’il était impossible de posséder, de voir ou même d’espérer voir en ces temps ci.

Il était en face d’une Epée Alfique.

Cet objet était un tel spectacle à lui tout seul, que Cynhaffal n’osait l’effleurer, ni-même porter son regard plus longtemps dessus.

- Ce présent est à toi ! Mon fils !
- Père ! Comment se fait-il que… Que vous…
- Tu te demande encore ? Bien. Sais-tu pourquoi tu pense être le seul Sid qui ne possède pas de second Don ? Pense-tu que la tache ne naissance en forme de croissant de lune que nous avons sur l’épaule n’est que pure transmission familiale ? Regarde plus attentivement mon fils, et tu comprendras !

Cynhaffal porta à nouveau son regard sur l’épée. Alors avec stupeur, il s’aperçu que le bas de la lame possédait une gravure en forme de croissant de lune, lequel était strictement identique à sa marque de naissance.
Son regard se porta immanquablement à son tableau préféré, celui où Lug était représenté, combatif et magnifique. Alors seulement, il le vît. Il n’avait jamais remarqué ce détail auparavant, comment cela était possible ? Il devait probablement rêver, mais les faits étaient là : Lug possédait lui aussi une marque de naissance en forme de croissant de lune. Qui plus est, l’épée modélisée sur la toile était en tout point identique à celle que son père lui avait offerte.
Il réalisa alors toute l’étendue de la chose : Il était l’héritier de Lug, le sang des Héros coulait en lui. Et aujourd’hui, c’était sa mission que de reprendre le flambeau et porter fièrement l’arme de son aïeul. Tant de pièces de puzzle s’imbriquaient désormais, que cela lui donna le tournis. Toutes les fois où il s’échappait miraculeusement d’une situation ou qu’il se sentait poussé par un élan de compassion envers une personne mise à mal. Cela était donc les manifestations du sang des héros. Son destin était tracé depuis le début, et lui, dans sa plus totale ignorance, ne l’avait jamais su, jusqu’à aujourd’hui.

- Et alors ?
- Et bien la suite est assez facile à imaginer. Cette épée me revenant de droit, je m’en suis saisit et puis voilà, on en est là.

Après la remise de son héritage, Cynhaffal avait tout de suite rejoins la compagnie d’Akeena, il avait besoin de confier cette révélation à une personne de confiance extérieure à sa propre famille. Le choix s’était porté illico sur la Fée aux cheveux roses.

- Mais tu vas arrêter un peu !
- KEPSY ! Arrête de tourner en rond ! Je sais que cela fait un moment qu’on attend mais on lui doit bien ça ! Alors pose toi un instant !

Akeena regardait le ciel…cela faisait maintenant près d’une heure qu’elle attendait dans les jardins du château Darnalum. Elle adorait cet endroit, la brise légère qui y régnait en permanence, le bruit de l’eau qui s’écoulait des fontaines.

Kepsy s’installa sur le ventre de sa propriétaire, cette petite chenille avait passé sa vie aux côtés de la petite fée et avait le don de la faire sourire en toute circonstance.

Akeena n’avait pas pour habitude de flâner par ici mais elle avait décidé d’accompagner son ami de longue date Cynhaffal, un Sid aux yeux émeraudes. Aussi loin qu’elle cherchait dans sa mémoire Cynhaffal était toujours présent, dans le bon comme dans le mauvais. Ils avaient fait les quatre cents coups ensemble, la mère d’Akeena, Nathylha lui avait souvent répété d’arrêter ses bêtises et de cesser de fréquenter aussi souvent un Sid amateur du quartier des plaisirs. Mais jamais elle n’a pu s’y résoudre.

Akeena dû sortir de ses souvenirs. Elle vit la silhouette de son ami arriver au loin.

Cynhaffal vint s’assoir aux côtés de sa vieille amie « Rose Tignasse » et lui expliqua ce qu’il s’était passé au château.

Akeena finit par se lever :

- Et alors ?
- Et bien la suite est assez facile à imaginer. Cette épée me revenant de droit, je m’en suis saisit et puis voilà, on en est là.

Elle sentait que sous ses airs de Sid grand et fort en toute circonstance, il avait énormément de questions qui lui trottait dans la tête. Akeena ne supportait pas de le voir comme ça.

- Allez viens, je t’offre un verre.

Cynhaffal eût un sourire en coin, il avait bien besoin d'un remontant et Akeena le connaissait mieux que quiconque pour savoir lorsqu'il en avait besoin.
Les deux amis se rendirent alors dans la ville. Ils la connaissaient depuis tout petit, aussi ils empruntèrent des routes sans vraiment vérifier leur chemin, tant ces passages leurs étaient familiers. Ils arrivèrent peu après devant le “Croquemitaine“, un établissement qui était connu pour son alcool de chenille ainsi que pour sa provocation contre la Malice, de part son enseigne très osée et provocatrice.

- Salut Tallun, tu apporte deux liqueurs de brume ?
- Pour moi aussi ! J’ai besoin de reprendre mes esprits !
- Tu ne changeras jamais toi ! Bon alors, dis-moi alors ! Tu es tourmenté par ces événements, et ce n’est pas la peine de feinter, je te connais trop bien pour ça ! Moi aussi je serais dans un même état si j’apprenais que j’étais la descendante de Lug… Encore que c’aurait été difficile à prouver : il était Sid et je suis Fée…
- Ce n’est pas tant le fait de savoir que je suis le descendant d’un héros, c’est plutôt de savoir tout ce que cela implique pour la suite. Tu me connais, tu sais que j’ai besoin de liberté, et le fait de connaître cette descendance me force à penser à toutes les responsabilités que cela implique. Lug était un guerrier redoutable et invincible, moi je ne lui arrive même pas à la cheville, je doute que je me sente prêt à porter cette épée.
- Mais ce n’est pas n’importe quel type d’épée, n’oublie pas que c’est une Epée Alfique, elle est capable de choses incroyables… Tient, au fait, on t’a informé de ce qu’elle permet de faire ?
- Non, mon père a insisté pour que je découvre ses pouvoirs par moi-même. Il dit que cela fait partie de “mon apprentissage“ !

Il se saisit de l’une des quatre verres à corne sculpté et descendit le liquide vert et mousseux d’un trait. Il toussota, l’alcool lui montant à la tête plus vite qu’un tromblon à chataîgnes.

Cynhaffal se saisit de l’un des quatre verres à corne sculpté et descendit le liquide vert et mousseux d’un trait. Il toussota, l’alcool lui montant à la tête plus vite qu’un tromblon à châtaignes.

Akeena eut un petit rire étouffé.

-Pour revenir aux choses sérieuses, je pense que tu es prêt. Ton père ne t’aurais pas transmis cet héritage sinon. Il a foi en toi ! Et oui je te connais mais je sais que l’aventure rime avec la liberté. T’es un grand garçon maintenant, le fait d’avoir des responsabilités est plus ou moins normal…enfin je pense…

Akeena avait du mal avec ce mot…responsabilité…pour elle la vie se résumait à flâner, se pomponner, refaire sa garde robe avec tout ce qui avait un potentiel à être modifié et faire la fête. La seule responsabilité qu’elle ait eut était de s’occuper de Kepsy, chose qu’elle prenait à cœur.

Elle aurait voulu elle aussi avoir un jour une si grande nouvelle qui changerait sa petite vie, Akeena adorait sa vie mais elle commençait à la trouver monotone, elle en arrivait même à se demander pourquoi son vieil ami continuait de la fréquenter…après tout elle était si banal…

Après ce petit coup de blues passager, elle se saisit de son verre et engloutit le contenu d’un trait avant d’imiter Cynhaffal et de se mettre à tousser elle aussi.

Poussés par l’alcool et leur tempérament jovial, les deux amis eurent tôt fait d’instaurer une ambiance festive dans la taverne. Il faut dire que leur faciès était assez connu par ici et que les gents présents les connaissaient au moins de notoriété.
Le soleil était déjà bien bas lorsqu’ils sortirent de l’endroit. Akeena se tenait à Cynhaffal et ce dernier avait passé sa main autours du buste de son amie. Il faut dire que la tête leur tournait et les empêchaient de conserver une ligne droite lors de leur déplacement. La liqueur de brume n’était pas à prendre à la légère, en boire plus de trois gobelets revenait à prendre le risque de ne plus savoir marcher droit.
Ils finirent par se rendre dans un petit jardin isolé. Ne sachant plus où était leur chez eux cela leur convenait tout à fait, et puis ce n’était pas la première fois que cela leur arrivait. Cynhaffal tomba sur le dos et s’endormit presque immédiatement, suivi par Akeena qui s’étala sur lui peu après, leurs deux corps formant une croix. Seule Kepsy resta éveillée un petit moment, le temps de vagabonder sur les deux avant de s’endormir à son tour sur le dos de sa maîtresse.

Le soleil se leva avec la rosée. Cynhaffal et son amie s’éveillèrent presque au même moment. Ils avaient le corps parcouru de crampes dues à leur mauvaise position de la nuit précédente et leurs vêtements étaient trempés à cause de la rosée.
Fort heureusement, ils se trouvaient dans un parc qu’ils connaissaient bien, ils s’étaient endormis entre deux fourrée, ce qui leur avait permis de ne pas être vu.
L’endroit était un joli jardin à l’architecture de style Louis XIV (les Alfs ne savent pas qui il était, mais c’est un style typique des Sids), une rivière courait tout autours et une grande fontaine demeurait en son centre.
Pour se réveiller, un plongeon à la rivière fût le bienvenu. Ils se débarrassèrent de leurs vêtements les plus amples (le manteau, la chemise et les bottes, avec quelques variations selon chacun…) et sautèrent en bombe dans l’eau fraîche. Les gouttes d’eau perdues réveillèrent Kepsy qui émergea lentement de sa nuit tandis que le Sid et la Fée se livraient à une guerre d’éclaboussures acharnée.

Akeena adorait ses moments avec son ami.

- T'es vraiment qu'un naze tu m'en as mis dans l'oeil...c'est super douloureux !
- Arrête de chipoter...montre voir.

Elle profita de ce moment pour se jetter sur le Sid pour le couler...et c'était repartie pour une guerilla digne de se nom.
Kepsy ronchonnait dans son coin, elle n'aimait pas l'eau et ne cessait d'en recevoir.

Akeena sortit de l'eau et s'affala dans l'herbe, sa chenille vint tout de suite pour réclamer une gratouille. Cynhaffal imita son ami et vint s'installer à ses côtés.

La journée allait être chaude, le soleil tapait déjà fort. Akeena arracha quelques brins d'herbe et s'en servit comme de pince à chignon, elle remonta ses cheveux en une grosse masse dans laquelle elle y planta ses princes improvisées. Des petites mèches sortirent de ça et là lui donnant un air soigné tout en étant complètement désordonné.

- Alors quel programme pour aujourd'hui ? Tu veux qu'on aille manger un bout à la maison ?

Cynhaffal sécha le reste de ses vêtements en déclenchant un Ogam de Feu, sa main devînt légèrement ardente et l’eau s’évaporait à son passage. Il en profita également pour sécher son amie.

- Je ne serais pas contre de prendre un moment pour déjeuner avec toi ! Cependant je te rappelle que le départ vers l’Ombilic est prévu pour demain ! Tu as préparé des affaires ?
- Hein ? Heu… Ah oui ? Demain ? Quoi ? Déjà ? Oh zut ! Je pensais pas qu’on partait si vite…
- Ouais, l’expédition sera menée par des gens de l’extérieur. Ils ont dit, et je cite : “Plus vite on se rassemblera, plus vite on sera parti !“
- Vraiment étrange leur manière d’être aussi empressé.
- Ouais. On m’a dit que c’est une notion qu’on appelle le Temps, il paraît que nous aussi on s’en rendra compte lorsqu’on arpentera la Mosaïk.
- Temps ? On dirait une recette de cuisine…

Ce fût sur ces mots que les deux amis s’en allèrent dans la demeure de la fée. Cynhaffal connaissait bien la mère de sa meilleure amie. Elle préparait de succulentes tartes aux cerises. Sa technique consistait à relever le tout avec un fond d’alcool de chenille. Le mélange donnait de surprenants résultats, allant de picotements dans la bouche à des effets visuels variés. L’effet n’était jamais le même, une fois Cynhaffal s’était retrouvé avec les cheveux arc-en-ciel durant trois heures et Akeena laissait échapper des feux d’artifice par la bouche.

Ils se demandaient quel effet le gâteau allait leur faire cette fois-ci.

Akeena et Cynhaffal arrivèrent devant la petite maison aux couleurs vives. Ils rentrèrent et après avoir salué Nathylha les deux amis s'installèrent à la grande table faite d'écorce de pin.

- M'man on va partir demain.
- Déjà...vous n'êtes encore que deux enfants...
- On a réussi notre apprentissage alors on est plus tant que ça des enfants !

Cynhaffal s'amusait de ses petites querelles mère-fille auxquelles il assistait à chacune de ses visites.

Nathylha s'approcha et posa deux tartellettes aux cerises sur la table. C'était une femme d'une très grande beauté, plutot aux traits de guerrière que de fée, elle était peu expressive et très calme. Le Sid se demandait de temps en temps où Akeena avait pu avoir un caractère aussi trempé tout en étant une vraie gamine en tout temps, à vrai dire peut-être de son père...mais ni lui ni sa vieille amie n'en avait jamais entendu parler.

- Enfin j'imagine que c'est la suite logique des choses...après tout malgré que tu agisses en tant que tel...tu n'es plus une gamine. Au fait as tu nourri Kepsy aujourd'hui ?
- Gna gna gna...Oui elle a mangé ce matin mais je pense qu'elle ne refuserait pas un petit gateau aux pétales d'argent !
- Viens ici Kepsy je vais te donner des biscuits et une coupelle d'eau de pluie.

Cynhaffal se saisit de la tartellette et la dévora en peu de temps. Il ne suffit que de quelques secondes pour que ses yeux se mettent à changer de couleurs. Akeena ne put s'empêcher de pouffer de rire. Par la colère les yeux de son ami changèrent à nouveau en un rouge écarlate, ce qui ne fit qu'empirer le fou rire de la fée.

- Donc Mr je sais tout, on va faire quoi en attendant le grand départ ?

J’avais bien une idée, mais je me demande si c’est le bon moment. Je voulais faire un dernier tour à La Rosée, tu sais, c’est là où on est allé danser la fois où j’avais gagné la joute deuxième contre Gör le troll. Je me rappelle qu’il ét…

Cynhaffal ne pût finir sa phrase, il s’étouffa dans ses paroles sous un éclat de rire quand Akeena, eût fini sa part de tarte : sa peau devait de virer intégralement au bleu fluo, même sa langue.
Pour sa part, Nathylha eût droit à une coloration de plusieurs de ses mèches dans des tons multicolores, ce qui ajouta à sa beauté. Cynhaffal soupçonnait son amie d’être sacrément jalouse de sa mère : cette dernière avait toujours les effets les plus jolis lorsqu’elle mangeait de sa tarte.

Bref, je disais que ce serait bien d’aller y faire un tour, histoire de dire au revoir à tous ces gens et toutes ces têtes…

L'après-midi était déjà bien entamé lorsqu’Akeena et Cynhaffal quittèrent la maison. Les yeux du Sid étaient retournés à leur éclat émeraude et la peau de la Fée avait repris son joli teint rose pâle.
La ville de Darnalum offrait une belle vue en cet après-midi. Le marché n'était pas encore terminé et les commerçants Gobelins vidaient leurs charrettes avant d'aller troquer d'autres babioles entre eux. Les Pain de Suc s'échangeaient entre les mains à une cadence folle, des objets sans valeur apparente (perles, cailloux, miette de pain, morceaux de verre...) mais qui révélait leur valeur lorsqu'un Sans-Âge les touchaient. Les rues étaient remplies d'un brouhaha inintelligible, les gens étaient serrés les uns contre les autres. Heureusement, par moment, un garde Troll passait par là et creusait le passage, chose qu'il faisait à merveille tant son apparence (et son odeur) était forte. Se bouchant le nez, Cynhaffal et Akeena emboîtèrent le bas de l'un de ces gardes, espérant trouver rapidement la rue qu'ils cherchaient avant de défaillir.

La rue qui menait à La Rosée était l'une de celle que le jeune Sid préférait. La Rue des Dentelles portait effectivement très bien son nom. On y trouvait les plus belles filles de compagnie de la ville, proposant des activités comme de la compagnie autours d'un dîner, "louant" leur compagnie pour une sortie ou "négociant" leur affection pour la nuit. A la venue des deux amis, quelques têtes féminines, familières au Sid, se tournèrent dans sa direction, le hélant pour qu'il daigne les approcher. Mais cela n'était pas l'avis de sa compagne, qui le tirait par le col de sa chemise dès qu'il essayait d'entamer une discussion.
Enfin, ils aperçurent l'enseigne de la taverne tant recherchée. Un panneau de bois bleu sur lequel avait été peinte une rose stylisée encadrée de deux étoiles. L'endroit était plaisant tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Certes, il ne valait pas les somptueux restaurants aux multiples étoiles qui conviendraient certainement mieux à des gens de la caste de Cynhaffal, mais le Sid ne s’était jamais senti à sa place dans de tels endroits. Il préférait largement être accompagné par de jolies Pixies ou des Fées lors d’un repas frugal que se retrouver au milieu de nobles requins lors d’un banquet.
L’établissement était tenu par un Pixie à peine de la même taille que le Sid, un peut bedonnant toutefois. Ses yeux noirs intimidaient la plupart des ivrognes d’éviter de cuver leur vin sur place, d’une manière générale, il n’avait pas trop à se plaindre. Les affaires étaient plutôt bonnes aujourd’hui, et la venue de la Fée et de son compagnon ne pouvait qu’annoncer une bonne occasion de se remplir davantage les poches.

Dans l’ensemble, le reste de l’après-midi se passa dans la bonne humeur et la rigolade, tout ce que les Sans-Âges aimaient en somme. L’alcool de chenille coulait à flot de même que la bière de cristal, dont la couleur changeait lorsqu’elle était servie. Rien n’aurait pût laisser penser que c’était au lendemain que les deux jeunes gens quitteraient le royaume.
Ils ne rentrèrent pas tard, contrairement à leurs habitudes. Cynhaffal raccompagna Akeena chez elle. La fée avait en effet réalisé qu’il lui restait des tas de choses à mettre en place avant le départ. Ils se donnèrent rendez-vous le lendemain devant la Porte du Royaume, lieu où ils devraient faire usage de leur passe pour la première fois de leur vie.

Cynhaffal eût du mal à dormir cette nuit-là. Il s’était réveillé au beau milieu de la nuit et était sorti s’asseoir sur le balcon de sa chambre, son épée à la main. Il regardait la ville en contrebas, quelques lumières témoignant encore d’une activité, il pensa aussi à Akeena, chez elle, dans ses draps duveteux en compagnie de Kepsy. Son attention se reporta à nouveau sur son épée. Eprouvant le fil de sa lame, il repensait sans cesse à cet héritage. Son ancêtre avait combattu Balor et enfermé le Fomore dans les profondeurs de la terre, dans lesquelles il était destiné à un sommeil éternel. La tâche lui incombait à son tour de veiller à ce que jamais le cyclope ne se réveille. Une tâche qui avait de quoi faire peur quand on savait de quoi la Malice était capable.
La Malice… Un mal qui court dans chaque Sans-Âge et que les partisans ne cessent de provoquer afin de faire se retourner le plus brave des combattants à leur cause malsaine. De nombreux Sans-Âges avaient étés détournés de leur mission à cause de la Malice. Ferdiathe le Chic avait massacré toute sa famille, Örh-Thüül avait détruit un village entier, Tournevistule Parsanchic avait incendié sa propre bibliothèque, recueil de milliers d’ouvrages précieux issus de son génie inventif.
Pour la première fois, certainement depuis de nombreuses non-années, Cynhaffal eût peur. Il avait peur de ce que l’emprise de la Malice pourrait lui ordonner de faire contre son gré. Ouvrir les portes de son royaume, participer au réveil de Balor, blesser ou même tuer Akeena. Cette dernière pensée le fît surgir de sa rêverie. Tuer Akeena ? Tuer Akeena ? Comment le pourrais-t-il ? Comment penser ne serais-ce qu’un instant qu’il pourrait oser lever la main sur elle ? Il la connaissait depuis toujours, il ne saurait dire combien de non-années exactement, dix, vingt, cent, mille, dix mille… Qu’importe, il préférait chasser ces pensées stupides de son esprit et se jura de ne plus jamais les évoquer.

Il empoigna son épée. Sa belle épée. Elle semblait être faite spécialement pour lui tant elle s’accordait si bien avec ses mouvements. Il commença une série de passes d’arme dans le vide, comme il l’avait apprit à l’école d’escrime du château. Il tournait, virevoltait, se fendait en avant tout en conservant son équilibre. Sans cesse en mouvement, ses coups fendaient l’air comme ils auraient fendu la peau des créatures de la Malice. Il s’arrêta sur sa dernière pose et reprit son calme. Il avait ressenti un besoin urgent d’évacuer tout ce stress qui était monté en lui tantôt. Les passes d’arme lui procurèrent un grand bien et le fatiguèrent suffisamment pour qu’il retourne se coucher. Il remit son épée au fourreau et tomba lourdement sur le grand lit de sa chambre, le sommeil ne tarda pas à le gagner cette fois-ci.

Le lendemain, ses affaires étaient déjà prêtes avant même qu’il ne se lève. Un sac de voyage avait été déposé sur une chaise, là où il avait accroché la ceinture de son épée, cette dernière pendant à ce même meuble. Le contenu était pour le moins classique, quelques vêtements, des livres de voyage, de la nourriture soigneusement emballée ainsi qu’un assortiment de crèmes et baumes de soin pour les cheveux.
Cynhaffal soupira en baissa la tête un moment, comment pouvais-t-on se préoccuper de ses cheveux lorsqu’on voyageait tel un aventurier ? Il vida donc son sac des différents pots de crème hydratante, shampooings et autres savons. Puis il se ravisa l’espace d’un instant puis, finalement, empocha un flacon de crème pour la peau. Ce n’était pas vraiment pour lui mais il pensait qu’Akeena ne refuserait pas une occasion de prendre soin d’elle lors du voyage.
L’inventaire était fait, il accrocha la ceinture de son épée par-dessus la sienne et alla faire ses adieux à ses proches, lesquels étaient rassemblés dans le grand hall pour l’occasion. Il parla à son père, ce dernier ayant réussi à sortir de son lit pour l’occasion, ainsi qu’à sa mère et à ses différents oncles, tantes, cousins et cousines.
Ensuite ce fût l’heure de partir pour ne plus savoir vraiment quand il reviendrait. Sous les signes de mains de ses proches à l’arrière des marches du château, il s’en alla vers les portes du Royaume. Il marcha le long d’un chemin serpentant afin d’épouser la forme des deux rivières qui coulaient de chaque côtés. Une voix familière l’appela alors par son nom derrière lui. C’était Akeena, la Fée semblait ne pas s’être pressée de terminer ses préparatifs, il s’était attendu à la trouver sur place bien avant lui.
Outre le fait qu’elle tenait Kepsy dans sa main, il avisa le petit sac d’une taille assez ridicule comparé au sien, qu’elle portait en bandoulière.

- Salut Rose-Tignasse… Heu, dis-moi, c’est tout ce que tu prends ?
- Salut salut ! Bah oui, on était pas censé aller dans la Mosaïk ?
- Heu… Oui, mais justement c’est ça le truc, c’est qu’on va dans la Mosaïk…
- Ah ? Et alors ?
- Alors tu ne pense pas que ça risque de faire un peut… Peu, comme affaires ?
- Bah j’ai un châle pour quand il fait froid, de la confiture de coccinelle que ma mère m’a faite, du pain de potiron, un peut d’eau de pluie… Ah et j’ai aussi ça ! Dit-elle en désignant une aiguille à coudre de la taille de son bras accrochée à sa ceinture.
- Et… Pour Kepsy ?
- Oh ! Ne t’en fait pas, maman a cousu une poche suffisamment grande sur le devant afin qu’elle puisse s’y loger. Hein ma petite kiki ?

Chynnafal n’en revenait pas, décidément, les Fées avaient une logique qui échappait à tout, et il était illusoire d’imaginer leur faire comprendre quelque chose de plus constructif.
Il préféra ne rien dire. Il prit le bras de son amie et l’accompagna vers les portes du Royaume.
Comme il s’y attendait, quelqu’un était présent au rendez-vous. Il s’agissait d’un Farfadet à l’allure pour le moins troublante : son vêtement de cuir noir et sa coiffure dépareillée lui donnait des allures de rocker. Ses petites cornes et ses pieds en sabots de bouc ne faisaient qu’ajouter du piment à l’aspect général. Il tenait un long bâton sur lequel avait été fixée une lame de cutter. A l’arrivée du couple, il lança :

- Vous êtes en retard, ça fait plus de trente minutes que je vous attends !
- Heu… Oui ? Je crois… Enfin, je ne sais pas trop. Elle souffla à Cynhaffal : Dis, c’est quoi une “Minute“ ?
- Aucune idée, vraiment. Peut être qu’on en saura plus à son côtés.
- Je vois, z’êtes vraiment des bleus alors. Bah ! Vouz’en faites donc pas, le temps c’est une notion qui vous viendra naturellement lorsqu’on sera sur la Mosaïk. Allez pressons, on est pas les seuls à partir. Au fait, j’m’appelle Fergon

Les trois êtres se tournèrent alors vers une immense porte constituée des entrelacs des branches de deux arbres. Lorsqu’ils s’avancèrent, il se passa quelque chose : le bouton de ceinture de Cynhaffal se mit à luire et à scintiller, de même que Kepsy, la chenille d’Akeena et l’anneau nasal que portait Fergon. Alors les branches commencèrent à s’animer et à s’écarter lentement, dans un grincement sonore et un bruissement de feuilles.
Au-delà de cette limite, se découpait un long couloir plongé dans les ténèbres. Le Farfadet s’y engouffra comme si de rien n’était et intima à Cynhaffal et Akeena de le suivre.

- Bon bah, nous y voilà, tu te sent prête ?